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3Glossaire : sujets et étrangers sous l’Ancien Régime

L’Europe moderne connaît de nombreuses formes de mobilités géographiques : temporaires ou permanentes, vers des destinations proches ou lointaines. Par leur diversité, ces circulations humaines contribuent à rythmer la vie dans les sociétés européennes d’Ancien Régime.

L’Ancien Régime, ainsi nommé de manière posthume lorsqu’il est aboli en 1789, désigne un système politique et social dont les principales caractéristiques sont en place à partir du début du XVIIe siècle. Il est fondé sur la notion et l’existence de privilèges (« lois particulières ») qui définissent le statut de chaque ordre de la société (clergé, noblesse, tiers-état), et le statut de chaque individu à l’intérieur des ordres. Justifiés par la fonction occupée dans la société, les privilèges sont pour la plupart  obtenus par la naissance, ce qui conforte une organisation sociale très inégalitaire. L’importance de la naissance dans la définition des statuts personnels explique que le statut de sujet français soit lui aussi acquis par la naissance dans le royaume (c’est le sens de l’expression « sujet naturel ») ; le critère de la filiation ne s’impose que secondairement, à partir des guerres de Religion seulement. 

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Exposition permanente, 2023
Exposition permanente, 2023, Photographie de Anne Volery
© EPPPD-MNHI

Incapacités juridiques

Sous l’Ancien Régime, la qualité de sujet français n’est pas définie de manière positive par des droits et des devoirs civils, mais se construit par opposition aux incapacités légales qui frappent les étrangers. Ainsi, le statut juridique du régnicole ou  naturel français se définit en creux à partir des incapacités juridiques qui touchent les étrangers, et principalement : 

  • l’impossibilité théorique d’exercer des offices royaux (depuis le début du XIVe siècle)
  • l’impossibilité théorique de tenir des bénéfices ecclésiastiques dans le royaume (depuis 1432)
  • l’incapacité successorale : l’impossibilité de transmettre ses biens après son décès, tout comme de recevoir des successions, avec son corollaire, le droit d’aubaine, par lequel les successions des étrangers décédés dans le royaume reviennent au roi (ces règles s’imposent au milieu du XVe siècle)
  • la menace d’être soumis à des taxes spécifiques dans certaines villes, ou dans tout le royaume comme ce fut le cas en 1587, 1639, 1646, 1656 et 1697.
En savoir plus : les taxes sur les étrangers [Extrait]

Déclaration de juillet 1697 ordonnant une taxe sur tous les étrangers et descendants d’étrangers installés dans le royaume depuis 1600 [extraits ; orthographe modernisée]

« […] Les Rois nos prédécesseurs […] ont aussi obligé [les étrangers] de contribuer aux besoins pressants de l’État dans le temps de guerre, et particulièrement ceux qui, n’ayant obtenu des Lettres de Naturalité, […] s’étaient grandement enrichis par le Commerce […]. Le Roi Louis XIII, […] par sa déclaration du 26 janvier 1639 […] ordonna que tous Étrangers Marchands, Banquiers, Courtiers, et autres, résidant et possédant Biens et Offices dans le Royaume […], de quelque qualité et condition qu’ils fussent, ou chacun de leurs premiers Descendants, Héritiers ou Donataires de leurs biens, […] payeraient les sommes auxquelles ils seraient taxés en son Conseil, et moyennant ce, les déclarait capables de trafiquer, négocier et exercer toutes sortes d’Offices, Arts et Métiers, sans aucune différence ni distinction entre les Sujets et les Étrangers naturalisés. […] Nous avons ordonné la même chose par nos Déclarations des mois de Janvier 1646 et Mai 1656. Mais comme ces déclarations n’ont point été exécutées en leur entier […], et qu’il y a plusieurs autres Étrangers qui se sont établis depuis dans notre Royaume […], et comme les bâtards et enfants naturels sont sujets aux mêmes droits que les Étrangers, […] voulons et nous plaît que tous Étrangers […] habitués en notre Royaume […], payent […] les sommes auxquelles ils seront modérément taxés […] en notre Conseil […] ; et pareillement que tous les Bâtards et Enfants [naturels] de nos Sujets, Gentilshommes et Roturiers, […] payent aussi […] les sommes auxquelles ils seront modérément taxés […]. »
Source : Déclaration du Roy portant confirmation des Lettres de Naturalité et de Légitimation. Donnée à Marly le 22 juillet 1697 (Paris, Estienne Michallet), reproduit in Jean-François DUBOST et Peter SAHLINS, Et si on faisait payer les étrangers ?, Paris, Flammarion, 1999, p. 444-449.
 

Étranger

Le terme d’étranger avant le XIXe siècle est particulièrement ambigu. Il oscille entre une acception traditionnelle : celui qui ne vient pas de la ville, de la paroisse, de la province… et une autre plus moderne : celui qui vient d’un autre État, est sujet d’une autre souveraineté. Pour une grande majorité des Français d’Ancien Régime, l’étranger reste celui qui vient d’un autre lieu à l’intérieur même du royaume. Ce qui crée une confusion durable entre les deux acceptions du vocable « étranger », alors que la plupart des autres langues européennes usent de termes différents pour désigner les deux catégories auxquelles elles renvoient.

En savoir plus : l’ambiguïté du terme « étranger » [Extraits]

Lettres patentes de déclaration du Roy, sur le fait de la demeure et habitation des personnes étrangères, ou autres de ce Royaume, qui se voudront habituer dans les Villes desquelles ils ne sont originaires. Publiées à Rouen en Parlement le 28 jour de Novembre 1617, Rouen, Martin Le Mesgissier, « Imprimeur ordinaire du Roy, tenant sa boutique au haut des degrés du Palais », 1617, « Avec Privilège dudit Seigneur » [extraits ; orthographe modernisée].

« […] Voulons et ordonnons que toutes personnes, soit étrangères ou autres de notredit Royaume, de quelque qualité et condition qu’elles soient, qui se voudront habituer dans nos Villes desquelles ils ne sont originaires, aient auparavant que d’y faire leurdite habitation, à aller déclarer à la Maison commune desdites Villes, par devant les Maires, Consuls, Échevins et Magistrats ordinaires d’icelles, la résolution qu’ils auront prise d’y demeurer, et pour quelle occasion, ensemble donner connaissance du lieu de leur naissance, et de leurs vies, mœurs et qualités, pour en être fait Registre dans les Maisons communes desdites Villes, afin que s’ils sont reconnus bien conditionnés, ils soient admis èsdites Villes pour y vivre et demeurer paisiblement avec les autres habitants d’icelles, et comme concitoyens, sans aucun trouble, altération ni empêchement, se soumettant aux charges, Lois et coutumes desdites Villes, et à faute de ce, Nous voulons que telles personnes soient privées de la demeure qu’ils y auraient voulu prendre, et qu’ils soient mis hors d’icelles, comme indignes d’y avoir leur habitation ; comme pareillement, Nous voulons et entendons que ceux qui depuis trois ans en ça se sont habitués èsdites Villes, aient à aller faire pareille déclaration èsdites Maisons communes, et se faire inscrire dans les Registres d’icelles dans quinze jours après la publication des présentes, sur peine d’en être mis hors, ainsi que dessus. »

Régnicole

Étymologiquement, le terme « régnicole » désigne l’habitant (incola) du royaume (regni) : c’est dans ce sens que l’emploient les juristes et la chancellerie royale. Par définition, le régnicole est sujet du roi, la naissance dans le royaume valant serment d’allégeance au monarque ; un étranger peut devenir régnicole en s’installant définitivement dans le royaume, et devenir sujet du roi en obtenant des lettres de naturalité qui valent transfert d’allégeance vers le souverain français.
A l’inverse, il est aussi possible de perdre sa qualité de régnicole. Au XVIIe siècle, Cette perte n’est pas une sanction mais découle d’un choix, du renoncement volontaire du sujet souhaitant s'installer définitivement en dehors du royaume : en se mariant à l'étranger, en y acquérant des offices et en se faisant naturaliser. C'est à partir de 1669, sous Louis XIV, que la perte de qualité de régnicole prend une dimension punitive en devenant une déchéance (selon l'article de Jean Christophe Gaven "La déchéance avant la nationalité. Archéologie d’une déchéance de citoyenneté", 2017) afin de limiter en partie l'émigration protestante.

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Naturel français

Le naturel français est celui que sa naissance dans le royaume rend ipso facto sujet du roi, en dehors par conséquent de tout caractère ethnique ou linguistique : en 1515, ce principe d’essence féodale est consacré par la jurisprudence du parlement de Paris ; il n’a jamais été remis en cause durant tout l’Ancien Régime. C’est le Code Napoléon qui, en 1804, fait prévaloir le principe de la filiation (ce que l’on appellera plus tard « droit du sang ») pour définir le Français, principe qui n’apparaît qu’au temps des guerres de Religion, afin, lors des pacifications, de protéger les intérêts des enfants nés à l’étranger de protestants français.

En savoir plus : les guerres de Religion et l’affirmation du principe de filiation dans la définition de la qualité de Français [orthographe modernisée]

•    Édit de Beaulieu (1576) Accéder  à l'édit de Beaulieu sur le site des éditions en ligne de l’École des chartes: « Art. 52. Voulons que les enfants de ceux qui se sont retirés hors de notre royaume depuis la mort du feu roi Henri, notre très honoré Seigneur et Père, pour cause de la religion et troubles, encore que les enfants soient nés hors de notre royaume, seront tenus pour vrais François et regnicoles, et tels les avons déclarés et déclarons, sans qu’il leur soit besoins prendre aucunes lettres de naturalité ou autres provisions de nous que le présent édit, nonobstant nos ordonnances à ce contraire, auxquelles nous avons dérogé et dérogeons.»
•    Édit de Nantes (1598) Accéder  à l'Édit de Nantes sur le site des éditions en ligne de l’École des chartes : « Art.70 (71). Les enfants de ceux qui se sont retirés hors de notre royaume depuis la mort du feu roi Henri deuxième, notre très honoré Seigneur et beau-Père, pour cause de la religion et troubles, encore que les enfants soient nés hors le royaume, seront tenus pour vrais François et régnicoles, et tels les avons déclarés et déclarons, sans qu’il leur soit besoins prendre lettres de naturalité ou autre provisions de nous que le présent édit, nonobstant toutes lettres à ce contraire, auxquelles nous avons dérogés et dérogeons, à la charge que les enfants nés en pays étrangers seront tenus, dans les dix ans après la publication du présent édit, de venir demeurer dans ce royaume.  » 
La clause restrictive finale, d’incolat (« à la charge que les enfants nés en pays étrangers seront tenus, dans les dix ans après la publication du présent édit, de venir demeurer dans ce royaume. »), a été ajoutée dans la seconde version de l’édit, remaniée pour son enregistrement au parlement de Paris.

Lettres de naturalité et citoyen étranger

L’étranger pouvait, par lettres de naturalité octroyées par le roi, obtenir une pleine capacité successorale, « comme s’il était régnicole » et, de la sorte, devenir l’un d’eux. Il était alors considéré comme un “citoyen étranger”. Cette expression peut sembler paradoxale, pourtant elle reflète une réalité juridique d’Ancien Régime : en obtenant le privilège de naturalité, l’étranger devient à la fois un sujet du roi et un « bourgeois du royaume », expression que le terme de « citoyen » remplace à partir des années 1760 ; cependant le naturalisé reste par essence un étranger, ce que rapellent les taxes prélevées en 1639 et 1697 sur les étrangers « même naturalisés ». Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, l’intérêt principal de ces lettres est qu’elles permettent d’échapper au droit d’aubaine.

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Aubain

Terme juridique qui désigne les individus frappés d’incapacité successorale : les étrangers, mais aussi les enfants naturels (« bâtards »). Ainsi tout aubain n’est pas forcément étranger, tandis que tout étranger n’est pas forcément aubain puisque, dans la pratique, l’exercice du droit d’aubaine souffre plusieurs exceptions : 

  • Certains ports privilégiés y échappent comme Bordeaux dès 1473, Dunkerque en 1662, ou Marseille en 1669.
En savoir plus : L’édit de mars 1669 sur les privilèges du port de Marseille [Extraits ; orthographe modernisée]

« […] Déclarons le port et havre de notre ville de Marseille franc et libre à tous marchands et négociants, et pour toutes sortes de marchandises, de quelque qualité et nature qu’elles puissent être ; ce faisant, voulons et nous plaît que les étrangers et autres personnes de toutes nations et qualité puissent y aborder et entrer avec leurs vaisseaux, bâtiments et marchandises, les charger et décharger, y séjourner, magasiner, entreposer et en sortir par mer librement, quand bon leur semblera, sans qu’ils soient tenus de payer aucun droit d’entrée ni sortie par mer […].
Et pour convier les étrangers de fréquenter ledit port de Marseille, même de s’y venir établir, en les distinguant par des grâces particulières, voulons et nous plaît que lesdits marchands étrangers y puissent entrer par mer, charger et décharger, et sortir leurs marchandises, sans payer aucuns droits, quelque séjour qu’ils aient fait, et sans qu’ils soient sujets au droit d’aubaine, ni qu’ils puissent être traités comme étrangers en cas de décès, lequel arrivant, leurs enfants, héritiers ou ayants-cause pourront recueillir leurs biens et successions, comme s’ils étaient vrais et naturels Français ; et même, qu’en cas de rupture et de déclaration de guerre avec les couronnes et États dont ils seront sujets, ils soient et demeurent exempts du droit de représailles, et qu’ils puissent faire transporter leurs effets, biens et facultés en toute liberté hors de notre royaume pendant trois mois. 
Voulons aussi que les étrangers qui prendront parti à Marseille et épouseront une fille du lieu, ou qui acquerront une maison dans l’enceinte du nouvel agrandissement, du prix de dix mille livres et au-dessus, qu’ils auront habitée pendant trois années, ou qui en auront acquis une du prix de cinq jusqu’à dix mille et qui l’auront habitée pendant cinq années, même ceux qui auront établi leur domicile et fait un commerce assidu pendant le temps de douze années consécutives dans ladite ville de Marseille, quoiqu’ils n’y aient acquis aucuns biens ni maisons, soient censés naturels Français, réputés bourgeois d’icelle et rendus participants de tous leurs droits, privilèges et exemptions, en rapportant par eux les certificats et attestations de ce que dessus du lieutenant général de l’amirauté et des échevins de ladite ville, fors et excepté seulement pour raison ou charges des échevins et autres municipales à l’égard desquelles il en sera usé suivant les règlements sur ce intervenus.
[…] »
Source : ISAMBERT (F. A.), DECRUSY et JOURDAN (A. J. L.), Recueil général des anciennes lois française depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789 (Paris, 1822-1833, 29 vol.), t. 18, p. 206-208.

  • II ne s’exerce pas entre provinces jadis soumises à une même souveraineté mais ensuite séparées par le jeu des annexions territoriales : ainsi le droit d’aubaine n’a pas lieu dans le duché de Bourgogne envers ceux de la comté de Bourgogne (les Francs-Comtois sujets des Habsbourg entre 1491 à 1678), non plus que dans le Roussillon, devenu français à partir de 1659, envers les Catalans restés espagnols.
  • Les spécialistes étrangers hautement qualifiés y échappent également : ainsi les artisans étrangers des manufactures royales, comme celle des Gobelins (1667).
En savoir plus : Les privilèges des ouvriers étrangers de la Manufacture royale des Gobelins [Extraits].

« Art. XII. Et pour traiter d’autant plus favorablement les ouvriers estrangers employés dans les manufactures, voulons et nous plaît que ceux qui viendront à décéder, travaillant actuellement, soient censés et réputés régnicoles, et leurs successions recueillies par leurs enfants et héritiers comme s’ils étoient nos sujets naturels. Voulons en outre que ceux desdits ouvriers estrangers qui auront travaillé sans discontinuation dans lesdites manufactures pendant le temps de dix ans, soient tenus et réputés pour nos vrais et naturels sujets, encore qu’après les dix années de service ils se fussent retirés des manufactures, et leurs successions recueillies par leurs veuves, enfans ou héritiers, comme s’ils avoient été naturalisés, sans qu’ils soient tenus d’obtenir aucunes nos lettres à cet effet, ni rapporter d’autres actes que l’extrait des présentes, avec le certificat du surintendant de nos bastimens.
Art. XIII. Seront les ouvriers, pendant qu’ils seront actuellement employés dans les manufactures, exempts de tutelle, curatelle, guet et garde de Ville, et autres charges publiques et personnelles, sans qu’ils puissent être contraints de les accepter, sinon de leur consentement.
Art. XIV. Comme aussi lesdits ouvriers seront exempts de toutes tailles et impositions, encore qu’ils soient sorties des lieux taillables dans lesquels ils auroient esté cottisés, tant et si longuement néantmoins qu’ils travailleront aux manufacture. 
Art. XV. Sera loisible au directeur des manufactures de faire dresser, en des lieux propres, des brasseries de bière pour l’usage des ouvriers, sans qu’il en puisse estre empêché par les brasseurs de bière, ni tenu de payer aucun droit. 
Art. XVI. Et afin que les ouvriers ne soient distraits de leur travail par les procez et différens qu’eux, leurs familles et domestiques pourroient avoir en plusieurs et différentes jurisdictions, tant en demandant que deffendant, nous avons évoqué et évoquons par ces présentes tous et chacun leurs procez civils, meus et à mouvoir, des sièges et jurisdictions dans lesquelles ils pourroient estre pendans, et iceux avec leurs circonstances et dépendances, avons renvoyé et renvoyons, en première instance, par-devant les maistres ordinaires des requêtes de nostre Hostel, et par appel en nostre cour de Parlement de Paris, auxquels, chacun à leur égard, nous en avons attribués et attribuons toute cour, jurisdiction et connoissance, et icelle interdite et interdisons à tous autres juges.
»
 

  • Des exemptions collectives sont accordées à certains groupes nationaux distingués par leur fidélité à la monarchie française : aux Suisses des troupes royales (de 1481 à la fin de l’Ancien Régime), aux Écossais (jusqu’en 1603, date de l’union personnelle entre les royaumes d’Ecosse et d’Angleterre). 

Individuellement, il est toujours possible de se faire exempter du droit d’aubaine grâce à l’obtention de lettres de naturalité.

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Droit d’aubaine

Le droit d’aubaine est un droit d’origine féodale, attaché au domaine du roi puis de la Couronne ; du XIVe au XVIe siècles, les officiers et juristes royaux le réélaborent en droit régalien en vertu duquel le roi hérite des biens meubles et immeubles (avec des variantes suivant les privilèges accordés aux différentes nations étrangères) appartenant aux aubains décédés sur le territoire du royaume. Présenté comme un marqueur essentiel de la souveraineté royale, il enracine en France une représentation sociale de l’étranger fondée sur son incapacité successorale, ce qui, à plus long terme, a contribué à associer citoyenneté et propriété. Si les juristes ont toujours discuté son bien-fondé quand il s’agit de l’appliquer ou non à certaines catégories de personnes (pélerins, voyageurs, diplomates, étudiants, marchands), à partir des années 1750, il fait l’objet de critiques convergentes, fondées sur le droit naturel, encouragées par le cosmopolitisme des Lumières, et confortées par les intérêts du négoce international. Ce qui débouche sur des conventions d’abolitions réciproques passées entre la France et une soixantaine d’États européens entre 1760 et 1789 : à cette date, le droit d’aubaine est promis à disparaître, du moins en Europe car il reste appliqué dans les colonies.

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Forain

Forain est le terme qui désigne l’étranger à la ville : étymologiquement, le forain est celui qui vient de l’extérieur de la ville et lui reste étranger. De ce point de vue urbain, le forain peut donc être celui qui vient des campagnes ou villes voisines, aussi bien que l’étranger au royaume, ambiguïté que résume l’expression « marchands forains et étrangers ».

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Bannir / Bannissement

Peine judiciaire visant à expulser puis à interdire à une personne ou à un groupe de personnes l'accès à un lieu ou une zone géographique : on bannit le plus souvent d’une ville ou d’un ressort, rarement du royaume tout entier. Ce qui se produit cependant à l’encontre des protestants durant certaines phases des guerres de Religion, ou à l’encontre des Juifs lorsque leur bannissement du royaume est réitéré en 1615. Ceux qui sont le plus régulièrement chassés des villes sont les mendiants non originaires des lieux et les vagabonds, englobés sous la dénomination de « gens sans aveu » ; c’est à ce titre que les Tsiganes, alors désignés comme « Égyptiens », sont particulièrement visés par les autorités municipales et royales (les parlements surtout). Les peines prévues pour les bannis ne respectant pas le bannissement sont variables : les hommes sont généralement condamnés aux galères, les femmes peuvent être fouettées, rasées ou conduites en dehors du royaume.

Document original sur la répression du vagabondage

Redirection vers un document original sur Gallica : Déclaration... contre les vagabons et gens appelez bohëmes et bohëmiennes et ceux qui leur donnent retraite. Registré en Parlement le 4 aoust 1682, Paris, F. Muguet, 1682 [Numérisation BnF : IFN-8607058 ; cote de l’original reproduit : BnF, F-21047 (9)]. Identifiant :  ark:/12148/btv1b8607058x 

Jus emigrandi

Droit garantissant la possibilité à toute minorité confessionnelle de pouvoir migrer hors d’un territoire sans subir de pertes matérielles ou honorifiques. Il apparaît dans la première partie du XVIe siècle dans le Saint-Empire au moment de sa déchirure confessionnelle, puis est étendu à plusieurs Etats et royaumes d’Europe. Louis XIV le remet en cause avec l’édit d’août 1669 qui interdit aux régnicoles de quitter le royaume, et ce afin de stopper l’émigration protestante.

En savoir plus: la fin du jus emigrandi : l’édit de 1669 [début de l’acte ; orthographe modernisée]

Édit du Roy... portant deffenses à tous ses sujets de se retirer de son Royaume pour aller s'establir sans sa permission dans les païs estrangers et de servir dans la navigation et le commerce... Registré en Parlement, Chambre des Comptes et Cour des Aydes, Paris, F. Léonard, 1669 [NUMM-9739202].

« Quoique les liens de la naissance qui attachent les Sujets naturels à leurs Souverains et à leur Patrie soient les plus étroits et les plus indissolubles de la société civile, que l’obligation du service que chacun leur doit soit profondément gravée dans le cœur des nations les moins policées, et universellement reconnue comme le premier des devoirs et le plus indispensable des hommes, néanmoins nous aurions été informé, que, pendant la licence des derniers temps, plusieurs de nos Sujets, oubliant ce qu’ils doivent à leur naissance, ont passé dans les Pays Étrangers, y travaillent à tous les exercices dont ils sont capables, même à la construction des Vaisseaux, s’engagent dans les équipages Maritimes, s’y habituent sans dessein de retour, et y prennent leurs établissements par mariages et par acquisition de biens de toute nature, et les servent utilement contre ce qu’ils nous doivent, et à leur patrie ; ce qui nous oblige, pour les ramener à leur devoir et prévenir les suites que ces mauvais exemples pourraient causer, de renouveler les anciennes Ordonnances faites sur ce sujet et de tenir la main à l’entière et ponctuelle exécution d’icelles. 
A ces Causes
[…] Nous avons fait et faisons par ces Présentes, signées de notre main, très expresses inhibitions et défenses à tous nos Sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient de se retirer de notre Royaume, pour s’aller établir sans notre Permission dans les Pays Étrangers, par mariage, acquisition d’immeubles, et transport de leurs familles et biens, pour y prendre leurs établissements stables et sans retour, à peine de confiscation de corps et de biens, et d’être censés et réputés Étrangers, sans qu’ils puissent être ci-après rétablis ni réhabilités, ni leurs enfants naturalisés, pour quelque cause que ce soit. […] »

Communauté d’habitants

Sous l’Ancien Régime, la communauté d’habitants est l’unité de base de la vie administrative : à la fois complémentaire et concurrente de la seigneurie, elle s’inscrit dans le cadre territorial de la paroisse. Elle représente l’échelle à laquelle s’identifient les individus.

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Patrie

Territoire au sein du royaume dans lequel se construit l’identité d’un individu. Ainsi, les huguenots français en exil se présentent-ils volontiers comme Cévenols, Nîmois ou Champenois, lieux dans lesquels ils ont développé une socialisation primaire (selon l'article de Eckart Birnstiel « La France en quête de ses enfants perdus. Mythe et réalité du retour au « pays des ancêtres », 2006). Pendant la Révolution française également, plutôt qu’au royaume, les émigrés français préfèrent se référer à l’implantation de leurs familles dans une « petite patrie ».

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Julien Derni

Ce glossaire a été relu et enrichi par l’expertise de M. Jean-François Dubost, professeur en Histoire moderne à l’université Paris-Est Créteil, chaleureusement remercié ici.